Celui qui ne connaît pas son passé, ses origines et sa culture ressemble à un arbre sans racines …
Je m'appelle Safae El Otmani, co-fondatrice de SAFIA, je suis berbère “Amazigh” de mère et de père. Ma mère est issue de la lignée de la tribu “Ait Ouahi” (grand-père) et de la tribu kabyle “Ait Hen Yacoub” (grand-mère). Il s’agit de la confédération des Zemmours soit les “Imazighens” berbères du moyen Atlas marocain. Mon père est également un Amazigh issu du Rif marocain situé dans le nord-est du Maroc.
Aujourd’hui, je me dévoile à vous, je vous raconte mon histoire, mes échecs, mes exploits, et mes combats de vie...
Etant enfant et adolescente, je fus élève indisciplinée et très modeste à l’école ayant résisté à plusieurs échecs scolaires. Une métamorphose totale me submerge lors de mes 2 années de baccalauréat. Je finis par décrocher une mention très bien, un 17 au Bac et des parents qui n’en croit pas leurs yeux. Ma soeur raconte que ma mère a vérifié plusieurs fois mon code national étant sûre qu’il s’agisse d’une erreur du ministère (imaginez haha). Je me classe parmi les premiers, je réussis brillamment tous les concours des écoles voulues, Je prends alors enfin confiance en moi. Je choisis les classes préparatoires pour une finalité de décrocher une grande école en France, mon père refuse catégoriquement de me laisser partir.
S’agit-il d’une peur de ne plus voir sa fille retourner auprès de lui ? Ou s’agit-il du pouvoir du patriarcat qui règne au Maroc et qui décide de tant de parcours ? Ou bien s’agit-il tout simplement du destin ? Je ne saurai vous dire...
Je décroche une place au sein de la deuxième meilleure école de commerce au Maroc (ENCG). J’y passe 5 merveilleuses années, je valide le tout avec des mentions et je finis avec le meilleur projet de fin étude de ma filière. Croyez-moi ce n’est pas pour rien qu’on dit que les années universitaires sont les meilleures de toute une vie, elles furent extraordinaires… Des amitiés, des amours, des aventures, des voyages, des premières fois, du parascolaire, et du social (nous y reviendrons plus tard, car c’est de là que commence mon désir de sens et d’utilité à l’autre)
23 ans, diplômée, jeune, belle, dynamique, et imposante. Je pensais que le monde m’appartenait et que de là le plus dur est passé et que rien ne peut m’arrêter maintenant, j’allais décrocher un très bon poste, avoir un salaire de rêve et tout le reste qui va avec, j’allais être épanouie. Le destin va bien me jouer des tours encore et encore … Très vite, après l’obtention de mon diplôme, je suis convoquée par une multinationale française, je passe 7 entretiens (oui la Nasa), je décroche le poste. Il faut dire que pour un profil junior, j’avais un bon salaire, le 13ème et 14 ème mois, les primes à go go, les avantages sociaux, maladie, retraite... Vous allez me dire que veut le peuple ? Je vais vous répondre : du sens messires. Chaque jour après la station de tramway, je longeais un petit trajet à pied et chaque jour, je me posais la même question : qu’est ce que je viens faire ici ? La vie se résume t-elle à ça finalement ? Allais-je avoir la même vie pour le restant de mes jours ? Rien que l’idée m’horrifiait, avais-je raté mon parcours, ma vocation ? La liste est longue...
Je me ressaisis, je demande plus de responsabilités, plus de challenge, je les reçois, je les maîtrise, je m’ennuie à nouveau, je finis par comprendre que je suis faite pour quelque chose de plus grand, de plus challengeant, quelque chose qui me procure du sens à chaque réveil. Quoi d’autre que des rêves ? Pleins de rêves, les uns plus fous que les autres. Alors je plaque tout au bout d’une année, je démissionne, convoquée par le DRH, il semble que ma décision est irrationnelle : beaucoup de personne rêverait être à ta place, est-tu sûre de risquer une évolution dans une boite pareille ? Tu vas sans doute le regretter et la liste fut longue des propos des gens. Qui d’autre est-il mieux placer pour juger ou décider de notre sors que nous même ? Et bien PERSONNE.
Je m’inscris en parcours doctoral, j’entame une thèse pour le titre de docteur et pour le rêve de devenir professeur universitaire. Je rêve de croire en la jeunesse marocaine dans les bonds des classes, je rêve de leur expliquer l’infinité des possibilités qui les attendent, je rêve d’être là pour eux et de participer d’une manière ou d’une autre à l’émancipation de mon pays, je rêve aussi de devenir un modèle pour toutes les jeunes femmes et d’une meilleure équité du genre. La réalité, vous vous en doutez (rire) est beaucoup plus difficile. Je me heurte ou plutôt je découvre un parcours doctoral dur, épineux, pointilleux. Je ne baisse pas les bras, je travaille d’arrache-pied et sans salaire, même les week-ends. Je perds confiance en moi tellement, c’est dur de briller au départ moi qui m’était habitué à la réussite et à redouter l’échec. Retour à la case de départ 😂...
La bonne nouvelle, c’est que je choisie de travailler sur un sujet qui me passionne qui n’est autre que l’entrepreneuriat et la condition féminine au Maroc. Je passe alors mes journées à lire, à résumer, à analyser, à rédiger, j’apprends chaque jour, je gagne en compétence, je me laisse pas abattre par les anciens. Petit à petit, je participe à des projets de recherche internationaux, j’organise des colloques avec mon directeur, je communique mes articles à l’international. À 24 ans, je trouve ma voie, ma vocation, le sens tant recherché. Puis, je rencontre des challenges personnels, particulièrement difficiles, cela m’affaiblit, je perds ma motivation, je suis anéantie, déçue du monde en entier, je chute…
Je pense sincèrement qu’on ne devrait point avoir des vitrines que pour nos victoires, mais plutôt pour nos échecs, pour nos déceptions dépassées, pour toutes les fois où nous nous sommes relevés…
Je me ressaisis (encore et toujours), je postule à un programme d’échange canadien de grande renommée (OFE). A ma grande surprise, mon dossier est retenu, je représente le Maroc, je serai la première doctorante marocaine à y accéder. Je plie mes valises, je pars pour une mission de 4 mois de recherche au Sénégal, je mène une recherche sur les femmes entrepreneurs sénégalaises. Ce fut de loin, la meilleure expérience de ma vie. J’apprends tellement de la vie, des gens, et d’autres cultures, je baisse toutes mes barrières, je m’ouvre à tout le monde, j’embrasse le monde, je deviens humble, humaine, accessible et sensible… Je comprends que le monde va au-delà des caprices qu’on se fait, je comprends qu’il y a beaucoup de gens qui souffrent de conditions de vie difficiles, je déduis qu’il faut agir et faire quelque chose … Mais ne suis-je pas en train de le faire déjà avec mes recherches au Maroc et en Afrique ? Cela fait bien avancer les choses, cela renseigne bien sur les dynamiques du genre, sur les contextes, sur les cultures et le patriarcat. Mais je me demande si cela me suffit ? La réponse est non et ne sera jamais assez à mon goût.
Je reviens au Maroc, le coeur remplit de sensation, de souvenirs et d’aventures. J’ai changé, ma famille me reconnaît à peine, je veux changer le monde. Je ne gaspille plus la nourriture, mon rapport à l’eau a complètement changé, enfin, je veux faire plus pour les femmes. Par où commencer ? C’est simple, il faut commencer par soi. La période de Covid fut particulièrement difficile pour moi. Moi qui suis extrêmement sociable, extravertie et ayant la soif de vivre, je vis mal la sensation d’emprisonnement entre quatre murs. Sauf que, je me pose une question existentielle, SAFAE si tu n’arrives pas à rester entre toi et toi-même, c’est qu’il y a un hic. J’entame une psychothérapie et je décide de régler tous mes traumas une bonne fois pour toute.
Celui qui veut sacrifier sa vie pour autrui, n'a guère le temps de s'assurer une place au soleil. (Gandhi)
Déterminée plus que jamais, je continue mes recherches, je les présente dans plusieurs conférences mondiales. Je deviens membre chercheuse au sein de l’OFE. Je deviens très respectée au sein de mon laboratoire. On me nomme la doctorante modèle. On me confie d’enseigner 3 Master à l’université. J’ai une baby face, les étudiants me prennent pour une des leurs 😂. Après tout, on a que 3 ou 4 ans de différence. Je fais mes preuves encore une fois, je ressens un grand sentiment d’accomplissement, je comprends que je suis faite pour ça, la séance passe une vitesse éclaire, je suis heureuse et je relativise le chemin épineux de la thèse. Juste après je reçois beaucoup d’offre d’emploi, ça fait 2 ans et demi que je n’ai pas reçu de salaire, si ça me manque ? OH que OUI, que faire alors revenir à un travail de 8h à 18h sans sens de vie ? PLUS JAMAIS.
Je finis par accepter un boulot qui me parle et encore une fois qui a du sens pour moi. Je deviens chef de projet dans une fondation où je suis chargée de mettre en place un programme Suisse d’accompagnement des jeunes vulnérables (Neet) à créer des micro-entreprises où à s’insérer professionnellement. Quelle joie, de se réveiller chaque matin et de se dire que ma mission est de changer la vie d’un autre vers le meilleur. Je prends cette mission très à coeur et je me donne à fond avec ces jeunes. Je développe une sensibilité particulière envers quelques-uns d’entres eux, je souhaite les voir réussir et atteindre leurs rêves, je leur fait croire que VOULOIR c’est POUVOIR. Je retrouve enfin mon côté social, je me remémore mes années universitaires où je faisais des caravanes de dons, des visites pour les orphelins et les personnes âgées, la distribution de vêtements dans les montagnes glaciales de l’Atlas marocain... Puis, je me porte volontaire auprès de la fondation pour toute activité sociale de ce genre, et je recommence à partir en week-end, à apporter de la joie à des enfants, à apporter des fournitures à des écoles lointaines …
Vous devez être le changement que vous désirez voir en ce monde. (Gandhi)
Mes participants issus de familles modestes souhaitent à leurs tours organiser des activités sociales pour les plus démunies dans le milieu rural. Je décide d’aller au-delà de simple dons. Je choisis le défi de rénover une école entière dans une compagne et de créer un espace de crèche où les femmes pourront déposer leurs nouveaux nés et aller travailler. Ces mêmes nouveaux nés pourront bénéficier de la maternelle et éviter le retard scolaire tant connu en milieu rural au Maroc. L’organisation fut particulièrement changeante, les flyers, les tickets, la totale, les dons furent rassembler en un temps record 15 jours seulement et 15 jours de rénovation et construction. Tandis que la joie ressentie, je ne vous en parle pas, car il n’y a pas de mot pour ça, il faut le vivre.
En parallèle de tout ça, je continue mes recherches, et je suis acceptée à présenter mes travaux dans une très grande conférence à Paris qui rassemble les pionniers de l’entrepreneuriat et des études du genre. J’expose mes résultats d’article et le souhait de mon terrain de thèse devant les meilleures chercheuses de mon domaine (grand respect à elles). Et là encore une immense joie de recevoir tant de reconnaissance à ces travaux et tant d’encouragement. Dès lors, je propose à un pionnier de l’entrepreneuriat au Canada de devenir mon deuxième mentor de thèse présent à cette conférence. À ma plus grande joie, il s’intéresse à mes travaux, et il accepte. L’impact devient plus grand et plus important. Une seule idée trotte dans ma tête, faire une belle thèse comme rarement fait et faire avancer les travaux d’entrepreneuriat et de condition féminine au Maroc comme jamais auparavant.
Dur, très dur même de vouloir autant faire, être là et là-bas en même temps. Que vous dire ? Une seule vie et énormément de rêves. J’entame alors mon terrain de thèse (le projet d’une vie), je ne veux le pas faire à moitié (je ne sais pas le faire), je me déplace chaque week-end dans quatre coins du Maroc, j’interroge les femmes entrepreneurs marocaines. Plus de 7 régions, 11 villes et 32 entretiens réalisés au bout de 6 mois. Encore une fois, je le fais dans des circonstances particulièrement difficiles (une maman malade). Pourtant, je me donne à fond et j’y arrive, même dans la douleur, tantôt dans les hôpitaux tantôt sur le terrain. Cette thèse d’ailleurs fut majoritairement écrite dans des couloirs et des lits d’hôpitaux (Alhamdoulilah).
L’accès à ces femmes fut difficile, mon sujet est très sensible, tantôt, je vous parle de réussite entrepreneuriale et tantôt, je vous parle de partage de responsabilité avec le mari, de pouvoir familial, de situation de discrimination, de stigmatisation … Pourtant, j’apprends tellement de ces femmes, un seul mot WOW, quelle résilience ? Quel courage ? Quelle détermination ? Elles s’ouvrent à moi, et je suis impressionnée par elles, je finis par les admirer toutes. J’en parle à tout le monde, y compris à mon adorable neveu Hugo. Je lui explique que moi aussi, je veux devenir comme elles, je veux devenir actrice de l’émancipation féminine au Maroc, je le suis déjà à travers mes recherches, mais aujourd’hui je rêve de lier théorie, pratique et dimension sociale.
Je veux devenir un rôle model.
Je rêve d’une entreprise sociale et solidaire qui oeuvre pour l’amélioration des conditions des femmes et de leurs enfants.
Je rêve de rénover d’autres écoles.
Je rêve d’apporter du soutien aux enfants abandonnés par les mères célibataires.
Et donc lors d’un voyage de famille à Agadir, avec Hugo, nous parlions de créer SAFIA, l’Histoire d’une vie …
Le destin nous joue bien des tours, mais finalement tout est lier, tout s’explique avec le temps…
Juste après, je m’envole de conférence à conférence, journées nationales, plateaux télé, dans plusieurs pays africains. Je deviens alors consultante avec les ONG tantôt à faire des terrains et des analyses et tantôt à monter sur des plateaux et partager mes diverses expériences et travaux qui se lient de manière indéniable. On m’explique vite que mon profil est rare, que je peux me faire énormément d’argent avec les ONG, et je deviens vite sollicitée par plusieurs cabinets. Je prends quelques missions, et je deviens membre du jury de sélection des projets dans l’un des plus grands programmes d’entrepreneuriat au Maroc. Je relève le défi puis je décide de me consacrer entièrement à la construction de la Marque SAFIA, aux femmes tisseuses, à l’histoire de mes ancêtres et à leur savoir faire aux mines d’or… Je veux le montrer au monde en entier, je veux valoriser le travail de ces femmes, je veux combattre les opportunistes, et je veux une meilleure répartition.
On parle souvent de ces réussites et très rarement de ces échecs. Pourtant, j’ai appris une chose. Nos échecs sont les déterminants de nos réussites. Criez vos échecs haut et fort, enlacez vos échecs, ils font de vous ce que vous êtes. Mon histoire ne fut pas des plus simples, mon chemin fut très épineux, j’ai souvent souffert, pleuré, douté de moi-même et en dépit de tout cela, je continue à tomber et à me relever. C’est un cercle sans fin, et il n’y a pas de réussite ultime, nous essayons constamment… Le combat continu.
Il n’a pas de rêve sans espoir et il n’y a pas d’espoir sans rêves …
À suivre…